Je sais, dans un quartier désert, Un coin qui se donne des airs De province aristocratique. J'y découvris l'autre saison, Encastrée entre deux maisons, Une miniscule boutique. Un beau chat noir était vautré Sur le seuil quand je suis entrée. Il leva sur moi ses prunelles Puis il eut l'air en me voyant De se dire : "Tiens ! Un client... Quelle chose sensationnelle !" Ce magazin d'antiquités Excitait ma curiosité Par sa désuète apparence. Une clochette au son fêlé Se mit à tintinnabuler. Dans le calme et tiède silence, Soudain, sorti je ne sais d'où, Un petit vieillard aux yeux doux Me fit un grand salut baroque Et j'eus l'étrange sentiment De vivre un très ancien moment Fort éloigné de notre époque. Je marchandais un vieux bouquin Dont la reliure en maroquin Gardait l'odeur des chambres closes Lorsque, je ne sais trop comment, Je me mis, au bout d'un moment, A parler de tout autre chose Mais le vieux ne connaissait rien. Quel étonnement fut le mien De constater que le bonhomme Ne savait rien, évidemment, Des faits et des événements Qui passionnaient les autres hommes. Il ignorait tout de ce temps, Aussi bien les gens importants Que les plus célèbres affaires Et c'était peut-être cela Qui, dans ce tranquille coin-là, Créait cette étrange atmosphère. J'acquis le bouquin poussiéreux Et je partis le cœur heureux. Le chat noir, toujours impassible, Dans un petit clignement d'yeux Parut me dire, malicieux : "Tu ne croyais pas ça possible !..." Je m'en allai, et puis voilà. Mon anecdote finit là Car cette histoire ne comprend Ni chute, ni moralité Mais quand je suis trop affectée Par le potins que l'on colporte, Par les scandales dégoûtants, Par les procédés révoltants Des requins de la politique, Afin de mieux m'éloigner d'eux Je vais passer une heure ou deux Dans cette petite boutique...
Compositor: Paroles: Roméo Carles. Musique: O. Hodeige 1936